L’amitié vue par Rabelais, dans «Picrocole II»
Bien après que fut inaugurée une dizaine d’abbayes dans le monde, suivant le modèle de celle de Thélème. Bien après une année de paix et de bonnes récoltes, une guerre éclata au sein même de cette Utopie, une guerre qui traversa mers, océans, champs, déserts, montagnes, volcans pour englober finalement le Terre entière. Une guerre qui fut tout d’abord celle de deux amis…
C'est dans une forteresse grandiose, où chaque plafond ne mesurait pas moins de 30 mètres, où chaque pièce équivalait à quatre villages réunis, où la simple lecture du plan vous prendrait une journée entière, où 23000 femmes de maisons avaient été retrouvées mortes de faim, perdues, dans de multiples couloirs, où naquit une amitié que l’on ne vit jamais nulle part.
Le roi Picrocole et frère Moine devinrent comme des frères. Il s'étaient rencontrés par hasard lors d'une conférence politique. Depuis, on ne les voyait jamais l'un sans l'autre ou l'autre sans l'un. Tous deux étaient devenus de grands philosophes connus. La chambre de Picrocole possédait une arche donnant sur celle de Frère Moine, ils se rejoignaient souvent le soir pour bavarder ou pour prier dans la chapelle personnelle de Moine. Il arriva souvent que quand l'on posait une question à l'un, ce fut l'autre qui répondît; comme s’ils n'étaient qu'une entité.
Mais un jour, après un repas bien arrosé, on put sentir une tension palpable dans tout le château. On raconta qu'une des plus belles bagues en or de Frère Moine avait disparu. Tout le monde savait que les seules personnes qui avaient accès à la chambre de Frère Moine étaient: le pape -homme de foi, descendant de Dieu- la jeune femme de chambre de frère Moine – qui possédait, on ne sait par quel miracle la même tache de naissance sur le front- et son meilleur ami, Picrocole. Frère Moine avait une confiance absolue en sa femme de chambre, encore plus qu'en le Pape. Des rumeurs sombres trainaient, certains auraient vu Gargantua entrer dans la chambre de Frère Moine durant le repas, d'autres la femme de chambre. Personne n'osait insinuer que le pape commettrait pareil délit. Les gens du château devinrent nerveux et l'absence de la bague affecta Frère Moine. Il vint alors à soupçonner son meilleur ami. Un jour il le questionna , et indigné que son ami puisse penser cela, Picrocole s'énerva. La discussion prit une grande tournure, ils en vinrent presque aux mains. A partir de ce moment-là Picrocole ne lui adressa plus la parole. Il se forma alors des sortes de clans, d'une part ceux qui rejetaient l'idée que leur roi puisse faire une chose pareille et de l'autre ceux qui avaient foi en Frère Jean. Les messes basses s'intensifièrent.
Pour éviter que cela ne déborde, on construisit un mur séparant le château en deux: d'un côté les Picrocoleniens, de l'autre les Bonfrèreistes. Mais cet accord ne tint pas longtemps, les habitants ayant trouvé une bonne raison de nourrir leur soif de sang détruisirent le mur, escaladèrent les murailles et firent tomber les plafonds. Du massacre, il ne resta qu'une sorte de bouillasse sanglante nauséabonde.
Convaincu de sa bonne foi, Frère Moine chercha refuge en France. Il fut alors directement conduit chez le roi, Gargantua. Il lui expliqua alors brièvement sa situation, rajoutant tout de même quelques petits détails. Voici ce qu’il lui dit:
« Bon roi, je suis venu jusqu’à vous pour vous demander asile et l’aide de vos troupes. Je me permets de vous dire que le roi Picrocole est un vaurien, à l’âme noircie par le mal. En effet, il m’a volé 200 lingots d’or. Mais le pire n’est pas là; il aurait même tué sa propre mère et il posséderait 12 orteils, œuvre de Satan ! Que Dieu m’en doit témoin et que votre foi vous guide vers le bien ! C’est pour cela que je demande l’aide de votre armée, pour délivrer tous ces malheureux de son emprise et récupérer ce qui m’est dû!»
Gargantua ne lui répondit que ces quelques mots: « Je ne suis pas ici pour juger quelques petites querelles entre un moine et son ami. De plus je n’ai jamais entendu, vu ou lu que Dieu aime qu’on s’entretue pour une soi-disant bonne cause. C’est étrange que l’église ne bénisse pas la guerre, alors qu’elle bénit le glaive de ceux qui savent l’employer pour le bien. »
Fou de rage, Frère Moine partit et il demanda à ce que personne ne prononce le nom de Gargantua, sous peine de mort.
Deux jours plus tard ce fut Picrocole, ennemi de Gargantua qui se présenta en France. On le conduisit au roi. Voici ce qu’il lui dit:
« Bon roi, je suis venu ici pour quérir votre aide. Il m’est parvenu le fait que Frère Moine est venu vous trouver il y a deux jours. Je me doute que vous avez pu constater que c’est un fou, un maladif de conquête sous les ordres de Satan ! On dit même qu’il a des femmes! Il a tenté de m’assassiner durant mon sommeil ! Voilà pourquoi je me présente à vous et demande votre aide et celle de votre armée. Après tout, nos querelles ne furent sans importance et je sais qu’avec votre bon sens et votre intelligence vous passerez par-dessus ces petits différents pour cette bonne cause. Aidez-moi, ainsi, je récupèrerai ce qui m’est dû.»
Gargantua ne lui répondit que ces quelques mots:« Vous prétendez être un bon roi alors que vous mettriez en jeu la vie de vos hommes pour une querelle entre deux amis? Peut être que pour vous la vie des hommes morts durant notre guerre vous importe peut. Si pour vous la guerre est juste, alors, à une juste guerre, préférons une juste paix. C’est sûr qu’il est plus facile de faire la guerre que de faire la paix.»
Furieux, Picrocole sortit du château se jurant d'envahir la France des qu'il en aurait l'occasion.
Alors on rentra dans un conflit général, les alliés s'allièrent, les ennemis se massacrèrent. On entra dans une demie décennie de chaos, la Terre se noyait sous la fumée, un enfant sur deux était orphelin. En 50 ans la population mondiale avait diminué de trois quarts. C'est à cette époque qu'on vit apparaître les premiers cannibales. A force, on ne se rappela même plus la cause première de cette guerre mondiale. Seul un petit pays ne fut pas atteint par cette guerre, un petit pays qu'on appellera plus tard la France.
Bientôt leurs noms disparurent des mémoires.
Ce
n'est que bien des années plus tard qu'une petite fille pouilleuse,
en creusant un trou pour y enterrer son chien trouva une jolie bague
en or.
Déborah C ( ce n'est pas mon compte)
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A vos stylos ! (euh, claviers..)
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