Rabelais contre la Sorbonne


RABELAIS CONTRE LA SORBONNE

Gargantua, François Rabelais, éd. Humanaissance, 309 p., 11 €.
            A l’occasion de la rentrée littéraire 2012, les éditions Humanaissance ont publié une magnifique réédition du célèbre Gargantua de François Rabelais.
            Pour commencer, faisons un retour en arrière. Nous voilà ainsi projetés en 1532. Cette année là, Rabelais est nommé médecin à Lyon et publie Pantagruel. Afin de ne pas être inquiété, il fait un anagramme avec les lettres de son nom, il devient alors Alcofribas Nasier (nous continuerons de l’appeler Rabelais). Les Sorbonnards condamnent Pantagruel. Mais, fort du succès de son œuvre, Rabelais, protégé par Jean Du Bellay, évêque de Paris qui deviendra Cardinal (j’anticipe, nous ne sommes encore qu’en 1532) écrit Gargantua qui paraît en 1534. Pour la seconde fois, les Sorbonnards condamnent l’œuvre d Rabelais qui connait tout de même un grand succès. Maintenant nous y sommes : 1535, Jean Du Bellay devient Cardinal. Rabelais quant à lui, persévère, et c’est ainsi qu’en 1542 il publie une version revue et corrigée de Gargantua. Encore une fois, les Sorbonnards condamnent son œuvre (j’ai l’impression que cela devient une habitude). Pourtant, Rabelais n’abandonne pas ses chroniques de géants ; il écrit le Tiers Livre, le Quart Livre et le Cinquième Livre (qui est inachevé et publié à titre posthume). Fidèles à leur occupation, les Sorbonnards condamnent les écrits de Rabelais.
            Revenons dans le présent. Si vous voulez bien, je vais vous parler de Gargantua. Définissons le genre : il s’agit d’un roman d’initiation parodique. Mais c’est aussi un personnage. Gargantua est le héros éponyme de … Gargantua ! Gargantua est un géant. Son père, Grandgousier est Roi. Sa mère se nomme Gargamelle (ne vous méprenez pas, ce n’est pas du plagiat, au XVI° siècle, les Schtroumpfs n’étaient pas encore apparus !). vous l’avez compris : c’est l’histoire de Gargantua (sa généalogie, sa naissance, son éducation et ses exploits). Mais (excusez-moi si vous n’avez pas beaucoup de temps, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant, il ne fallait pas commencer !) Gargantua, c’est bien plus que la simple histoire d’un géant.
            Gargantua (le livre, pas le géant) est un voyage inoubliable dans un univers carnavalesque. A l’époque, le carnaval était une inversion des valeurs (le mendiant devenait Roi, le fou sage, le Bien Mal…). Gargantua est grotesque et cela le rend drôle. Rabelais fait rire, en effet, il dit lui-même que « Mieulx est de ris que de larmes escrire/Pour ce que ris est le propre de l’homme. ». Riions donc ! mais le rire de Rabelais est cru, si bien qu’il devient dégoûtant. La scatologie, c’est bon pour faire rire des maternelles. Pourtant, Rabelais dédie son livre aux « Beveurs tresillustres » et aux « vérolés tres precieux » (il faut que nous nous rendions à l’évidence : ce livre n’est pas pour nous !). C’est écrit (pardon, imprimé) noir sur blanc. Rabelais ironise, exagère et ridiculise avec verve. Ce n’est sûrement pas pour le plaisir. Pourquoi alors ? C’est l’objet du paragraphe suivant.
            Un retour en arrière s’impose, revenons au XVI° siècle. Vous avez sûrement déjà du entendre parler de l’Humanisme ? Je vais vous rafraichir la mémoire. C’est une façon de penser, un courant artistique, un mouvement littéraire et culturel. Ce mouvement c’est Erasme qui l’a créé (vous ne connaissez pas Erasme ? tant pis, vous chercherez). Rabelais est un humaniste et un évangéliste. L’évangélisme, c’est une autre vision de la religion, du rapport à Dieu. Revenons au présent. Dans le « Prologue de l’auteur », Rabelais qualifie son ouvrage de « semblable es Silènes », il précise qu’il faut en tirer la « substantifique moelle » ; ouvrons la boîte afin de voir se qui se cache à l’intérieur (avouez-le, vous brûlez d’envie de le savoir). Bien sûr, Rabelais n’écrit pas seulement dans le but d’amuser des maternelles, des alcooliques ou des vérolés, cela serait trop simple, beaucoup trop simple. Derrière l’aspect comique, Rabelais a caché un aspect sérieux (décidément, Rabelais est un cachotier, mais il n’y peut rien, adressez-vous aux Sorbonnards). Rabelais utilise Gargantua (d’accord cette fois, je reconnais que Rabelais est un manipulateur) pour faire passer ses idées humanistes et évangélistes : une réflexion sur la foi, les langues, le libre arbitre, la société idéale, la vie monacale, l’éducation…Il critique les Sorbonnards qui ne partagent pas les mêmes idées que lui. Vous comprenez sans doute mieux pourquoi les Sorbonnards rejettent toutes les œuvres de Rabelais (sans les lire, ils sont trop paresseux !).
            En guise de conclusion, Gargantua s’adresse a un public averti (adolescents et surtout adultes). A première vue, j’ai été fortement surprise (je ne parle pas d’une surprise agréable) par l’humour bas et la scatologie, mais il ne faut pas se contenter de nager à la surface, il faut explorer les profondeurs de l’écriture de Rabelais pour se rendre compte qu’il s’agit d’une critique acerbe de la société du XVI° siècle qui donne lieu à une présentation d’un modèle humaniste. Gargantua, c’est un classique incontournable de la littérature française.
            Je vous laisse, je vous ai déjà fait perdre 4 minutes et 18 secondes, mais contrairement à moi, avec Rabelais vous ne perdrez pas votre temps !

Par Anne-Lise Trattler, « Le monde des Livres », 03 septembre 2012.

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